TravelTech : où sont les femmes ?
Si dans l’industrie du Tourisme, la majorité des entreprises respectent la parité, les femmes se font beaucoup plus rares dans des entreprises technologiques. Alors que le marché se digitalise et que la technologie fait partie intégrante des métiers du Tourisme, pourquoi les femmes sont-elles si peu nombreuses dans la TravelTech ? A travers différents témoignages et études, la rédaction de TOM a tenté de comprendre quelles en sont les causes.
En France, la part globale des équipes féminines ou mixtes ne représente que 21% des startups selon un baromètre publié par le cabinet BCG en 2022 et moins de 3 entrepreneurs sur 10 sont des femmes. Selon l’INSEE, tous secteurs confondus, seules 23% de femmes seraient présentes dans les métiers de la Tech. Dans l’industrie du Tourisme, malgré la grande présence de profils féminins, peu sont présents dans la TravelTech. En 2022, le secteur enregistrait pourtant un taux fort respectable d’équité avec un total de 54% de femmes et 46% d’hommes. Mais si l’on entre dans le détail, plus les entreprises sont technologiques et moins il y a de femmes.
Emilie Dumont, directrice générale de MisterFly a elle-même fait ce constat dans ses équipes : « Au niveau global du groupe, 40% de nos effectifs ont un pur métier IT, ce qui est énorme. Les femmes représentent 54% de nos équipes mais avec une très forte prédominance en tant qu’agent de voyages (80% sont des femmes) et 30% seulement dans les équipes Tech/IT ». La dirigeante va même plus loin dans l’analyse : « Au sein même de cette équipe Tech/IT, 23% d’entre elles sont sur des postes de développeuses quand 60% travaillent sur le produit. On voit clairement une différence sur les profils techniques ». Et selon Emilie Dumont, l’entreprise n’a pourtant aucune politique en matière de recrutement en fonction du genre : « Nous recrutons selon les compétences de la personne mais, pour les profils Tech, nous recevons tout simplement peu de CV féminins ».
Les filières scientifiques boudées par les femmes ?
Une sous-représentation criante qui s’explique par de nombreux facteurs. Le premier concerne le manque de femmes dans les filières scientifiques. Dans l’Union européenne, la proportion de femmes diplômées travaillant dans le secteur numérique n’atteint que 17 %. Pour Adele Ridgway, CCO chez Gekko Tech, les jeunes filles pensent que ce n’est pas fait pour elles : « Cela se joue dès l’école primaire et le collège. Les garçons vont davantage être poussés vers des filières scientifiques et les filles littéraires ou les langues ». Dans le secteur du Tourisme, les écoles accueillent près de 80% de filles : « Elles viennent dans ces filières par amour des langues, du service et par adhésion au voyage. Ce sont des profils qui n’ont pas de réelle appétence Tech puisqu’elles ont choisi cette voie », explique Marie Allantaz, consultante et ancienne directrice de l’ESCAET, école de commerce spécialisée dans le tourisme.
Pourtant, le Travel est, qu’on le veuille ou non, indissociable de la Tech. « Il y a un manque d’association entre le marché du Tourisme et celui de la Tech. La collaboration entre les deux secteurs a du mal à se créer et je pense que c’est en partie à cause de cela que nous sommes si peu nombreuses », ajoute Adele Ridgway. L’idéal serait-il alors de créer des ponts entre les filières touristiques et les écoles d’ingénieurs par exemple ? Pas vraiment, selon Marie Allantaz : « Je pense qu’il faut prendre le problème dans l’autre sens et mettre en avant les métiers du Tourisme dans les écoles d’ingénieurs ou du digital. Leur donner envie d’y travailler et casser cette idée reçue selon laquelle les femmes ne sont bonnes qu’au département marketing ou communication ».
L’équité dans la vie professionnelle et personnelle
De nombreuses femmes qui travaillent dans le secteur ne sont d’ailleurs pas issues d’une formation dans la Tech ou le digital. Caroline Harauchamps, Directrice générale France chez Sabre, avait un profil plutôt commercial : « Je suis arrivée à ce poste par de heureux hasards au cours de ma carrière et par appétence pour les deux secteurs, la Tech et le Tourisme ». Passée par Amadeus et Worldia, Caroline Harauchamps y a développé de nombreuses compétences qui l’ont poussé à aller plus loin : « Au début, on ne se sent pas forcement légitime mais il faut passer outre. Le Tourisme est un marché qui bouge et qui se transforme en permanence, très influencé par l’innovation technologique. Il faut que les deux secteurs s’associent pour faire bouger les lignes mais au-delà de la formation, les leaders d’opinion ont un rôle à jouer pour inciter les femmes à prendre la place qui leur revient ».
De gauche à droite : Adele Ridgway, Marie Allantaz, Caroline Harauchamps, Emilie Dumont et Christine Giraud
Une vision que partage Emilie Dumont : « Je pense que, d’une façon générale, nous avons la chance d’être dans un secteur bienveillant où la discrimination envers les femmes est moins présente que dans d’autres secteurs comme la Finance. Il est important de donner de la visibilité aux femmes mais pour que cela fonctionne il faut que cette équité soit respectée dans la vie personnelle. » La place des femmes en entreprise évolue car la société évolue, se sont deux sujets indissociables. Elle ajoute : « Pour qu’il y ait de l’équité au travail il faut qu’il y en ait dans la vie. ». A ce compte-là, la French Tech a lancé en 2022 un « Pacte Parité » pour accélérer l’égalité dans l’écosystème des entreprises innovantes. Sept mois après son lancement en février 2023, le bilan restait mitigé avec seulement 160 startups, dont 18 licornes, signataires de la charte. La faute, notamment, à la baisse des financements, qui met sur la table les sujets de rentabilité plutôt que d’égalité homme-femme.
L’auto-formation, un levier sur lequel doivent s’appuyer les entreprises
Selon Adele Ridgway, les entreprises de la TravelTech ont tout intérêt à accompagner et à former ces nouveaux profils féminins : « Lorsque Gekko m’a recruté, je doutais fortement de mes compétences en matière de Tech car ce n’était pas du tout ce sur quoi j’avais travaillé jusqu’à présent. J’ai donc commencé sur du commercial et compris comment cela fonctionnait. La fibre technique et technophile s’est développée peu à peu et j’ai eu de la chance d’être dans un environnement où je me sentais soutenue. Une femme va beaucoup plus douter de ses compétences qu’un homme d’une façon générale et va souvent être en quête d’une certaine légitimité. » Un avis que partage Marie Allantaz qui croit en la capacité des entreprises à amener des profils commerciaux, par exemple, sur des projets Tech : « Cela passe par la façon dont on peut repenser une interface, au market ou au développement même des solutions. Lorsque l’on parle de Tech, les missions sont très vastes et ne nécessitent pas toujours de bagage scientifique ».
L’accompagnement des femmes en entreprise doit également leur permettre d’être en confiance : « Une fois qu’elles sont recrutées il est important de leur permette de s’épanouir professionnellement et personnellement. Le congé maternité par exemple ne devrait plus être un sujet de discrimination. Tout comme il est essentiel de traiter les hommes de la même façon car les besoins sont identiques, nous en revenons à l’équité jusque dans la vie personnelle. Pour ma part, je ne crois pas au stéréotype de la ‘Wonder Woman’ nous sommes des humains avant tout ». Pour Christine Giraud, directrice générale de l’association « Les Femmes du Tourisme », le manque de profils féminins dans certaines branches du Tourisme n’est pas uniquement propre à la tech : « Ce sont des parcours qu’il faut valoriser dès l’école primaire et le collège et cela demande des efforts de pédagogie. Je pense néanmoins que cela est en train d’évoluer mais si cela ne les attire pas il faut se poser les bonnes questions. Sommes-nous assez valorisées ? Payées équitablement ? Ou bien encore, quel est le type de contrat proposé ? ».
Plus de femmes pour des technologies inclusives
Concrètement, ce manque de parité se ressent jusqu’au développement de certaines technologies. A titre d’exemple, dans leur ouvrage ‘L’intelligence artificielle, pas sans elles’, Flora Vincent et Aude Bernheim démontrent que les algorithmes créés par des humains, peuvent être discriminants. Ceux majoritairement créés par des hommes retranscrivent leur culture et leur mode de pensée. Ces biais sexistes ou racistes sont ainsi introduits à partir de leur façon de coder. L’augmentation de profils féminins, notamment dans le métier de développeur, pourrait permettre de créer des technologies plus inclusives, moins discriminantes et peut-être plus ouvertes d’esprit…Comme dans la vraie vie en soi.
Photo d’ouverture : @Wocintechchat
Source : Tom Travel